LES CHRONIQUES DE FRANCISCO & Co

Polar     Film Noir    Thriller psychologique    Drame

Wim Wenders

****

Encore une sortie Blu-ray à saluer.

Au programme : un délicieux nostalgique trip.

Cet envoûtant polar de Wim Wenders, millésime 1977, à la photographie sublime, sublimant le charme de l'argentique et de la bonne vieille péloche 35 mm, compte parmi les films qui m'ont ouvert l'appétit pour le cinéma. Découvert à l'adolescence je m'étais laissé aller à l'atmosphère contemplative de cet étrange polar tourné entre Hambourg, Paris et New-York, où un encadreur-restaurateur de tableau, condamné par la maladie s'improvise tueur à gage pour laisser à sa famille de quoi faire face à sa disparition prochaine.

Nous sommes chez Wenders qui sort alors de sa "trilogie de la route" (bientôt rééditée!) Alice dans les Villes, Faux Mouvement, Au Fil du temps, série de films s'abandonnant aux surprises, accidents et songes de l'errance. Des métrages aux script souples voir absents, laissant souvent une large place à l'improvisation. Avec L'Ami Américain ce jeune cinéaste décide de rejoindre le cinéma de genre et de se glisser alors dans les codes du polar. Fan absolu des romans de Patricia Highsmith il écrit à plusieurs reprises à l'autrice pour obtenir les droits de ses oeuvres préférées mais elle lui apprend qu'ils sont déjà tous aux mains des grands studios. Intriguée par l'engouement et l'insistance de Wenders elle décide alors de le rencontrer. Échange au terme duquel, séduite par la passion du cinéaste, elle lui propose d'adapter son dernier ouvrage fraichement accouché de sa machine à écrire : Ripley s'amuse. 

Wenders bondit sur l'occasion et se lance alors dans l'aventure en convoquant au casting l'acteur de théâtre Bruno Ganz qui signera ici son premier film de cinéma. Lisa Kreuser, compagne du moment du réalisateur rejoint l'aventure. À l'affiche également, Gérard Blain, notre James Dean français des années 50 et 60 qui a brillé chez Duvivier, Chabrol et Godard. Reste à trouver son "Tom Ripley". Personnage central de l'oeuvre d'Highsmith, escroc séducteur psychopathe traversant cinq ou six polars de la reine du thriller psychologique. Une figure mythique incarnée plusieurs fois à l'écran par quelques pointures du calibre d'Alain Delon, Matt Damon, John Malkovich ou Barry Pepper. Autant dire qu'il faut ramener du lourd pour traduire à l'écran autant de charme, d'ambiguïté et de menace. Dans sa quête de l'incarnation idéale, sans laquelle le projet ne tiendrait pas, Wenders rencontre alors Nicholson qui décline et lui conseille d'aller taquiner John Cassavetes. Même accueil, l'acteur-réalisateur culte du cinoche indépendant américain n'est pas dans le bon mood mais c'est lui qui soufflera au  cinéaste le nom de Dennis Hopper. Dennis Hopper, quelle merveilleuse idée, se dit Wenders...

Attention, anecdote. C'est ainsi, qu'avec pas mal de retard sur le calendrier de tournage, débarque à Hambourg l'acteur fraîchement débarqué du tournage dantesque d'Apocalypse Now. Le gars Dennis est fidèle à sa légende. Totalement bourré, défoncé à toutes les drogues imaginables. Résultat, incapable de suivre le script, Hopper part en impro totale. Son délire s'arrêtera net avec un coup de poing en pleine gueule d'un Bruno Ganz au bord du nervous Breakdown. Après cette bonne vieille baston de machos et une nuit à écumer les bars une saine amitié naîtra entre les deux acteurs qui reprendront alors le tournage en ayant, pour l'un décidé de se discipliner, pour l'autre de se montrer un peu plus souple. Wenders décrit cet épisode plus en détail dans les bonus du Blu-ray.

Au final, Ganz déclarera être devenu un meilleur acteur sur ce tournage.

Hopper lui n'a cessé de rappeler que ce sain retour au travail d'acteur au sortir d'années de déglingues et de déprime lui a sauvé la vie. Et ça se voit. Ça se sent. Le film transpire de toute cette humanité. L'alchimie à l'écran entre ses acteurs et les enjeux qui se jouaient hors et sur plateaux nourrissent l'atmosphère et la magie de ce polar qui prend bien son temps et soigne ses atmosphères. Se joindront également au casting quelques potes cinéastes et maîtres de Wenders. On retrouve ainsi Nicholas Ray en mystérieux peintre se faisant passer pour mort, Samuel Fuller en mafieux à gros cigare, Jean Eustache en médecin de fortune dans un bar parisien ou Daniel Schmid en première cible de l'apprenti tueur à gage. 

Cette sublime restauration Blu-ray sur remastérisation 4K offre une vraie redécouverte. Bien sûr que les "séquences criminelles" ont pris leur petit coup de vieux, le film fêtera bientôt ses quarante ans, et on ne tue plus comme ça dans les films d'aujourd'hui mais peu importe puisque l'essentiel n'est pas là.

L'Ami Américain est même un anti-film d'action. La grâce cinématographique est ailleurs. On la trouve ici dans la poésie mélancolique  et mortifère qui hante les images aux néons du chef-op Robby Müller, la fausse nonchalance du récit, la musique du fidèle Jürgen Knieper (ici inspiré par les combos Hitchkockienne de Bernard Hermann) et le spleen de l'ensemble des personnages du film.

L'Ami Américain est un polar crépusculaire sur la mort, l'art, la famille et l'amitié jusque dans leurs manifestations les plus dangereuses, douloureuses ou improbables. On trouve ici encore ce terreau premier de l'errance fondamentale qui laisse chacun égaré au milieu d'un monde impossible à déchiffrer. Les polars de ce genre qui fuguent et interrogent sont rares aujourd'hui. C'est pourquoi acquérir cette pépite seventies vous garantit  de disposer sur vos étagères d'une oeuvre rare et précieuse.

Ce sens profond de l'atmosphère et le travail photographique novateur  de Robby Müller (qui a inspiré depuis nombre de chef-op) ont contribué au succès de ce film devenu culte. On sent poindre le retour sur le continent américain (après l'ouverture d'Alice dans les villes) du futur réalisateur de Paris, Texas (mon film de chevet et chef d'oeuvre increvable) et l'acte de naissance de l'acteur Bruno Ganz que Wenders retrouvera dix ans plus tard sur Les Ailes du Désir. 

Alors voilà, nous y sommes. Si vous aimez les ports embrumés, les ateliers d'artisan, les bars mystérieux et les couloirs du métro parisiens, les coccinelles oranges qui filent dans l'aube naissante et les ambulances en flammes au bord de l'océan, n'hésitez pas à adopter l'Ami Américain. Si vous n'êtes pas pressé et que vous avez l'âme rêveuse vous serez séduits.

 Francisco, 

PS : Le personnage de Tom Ripley fera son grand retour en avril 2024 dans une série Netflix ultra-léchée en noir et blanc. Une proposition artistique ambitieuse adaptée, écrite et mise en scène par Steven Zaillian (scénariste de talent sur La Liste de Schindler, The Irishman et, côté petit écran, créateur et réal de l'épatante série The Night Of)  Du qui promet quoi...

Chroniques Wenders

1977

2h05

Le Blu-ray :   *****  Les amoureux de la texture argentique seront aux anges. La copie est parfaitement nettoyée et les couleurs et contrastes ressuscités. Même les scènes nocturnes assurent un niveau de détail assez renversant pour ce quasi quarante ans d'âge. C'est une vraie et pure image péloche 35 mm qui, bien sûr, n'offre pas un piqué de compétition mais dont la matière palpite. L'admirable photographie de Robby Müller retrouve ici un écrin à la hauteur de son talent.Merci Carlotta pour cette délicieuse réédition qui ravira les nostalgiques de cet inestimable cinéma d'atmosphère échappant à tout formatage.

Directed by 

Writing Credits  

Patricia Highsmith 

Cast (in credits order) complete, awaiting verification  

Full cast & crew