LES CHRONIQUES DE FRANCISCO & Co

LES CHRONIQUES DE FRANCISCO & Co

LE CRI DU CHAMEAU saison 1 épisode 2

 

J'ai, dans le dos,
des éclats de zèbre
qui ne me font pas toujours marrer

 

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J'écris souvent en laissant filer un peu de jazz.

Je me suis initié il y a quelques mois à l'art de me faire une playlist. C'est grâce à mon pote Celdran. Dès qu'on part en reportage et qu'il y a un minimum de route à faire il se débrouille toujours pour attraper la seule bagnole équipée du Bluetooth histoire de rendre le trajet un poil plus funky. Du coup, je m'y suis mis aussi. Jazz, Soul, Folk, rock, Blues, Classique, plus une compile de trucs qui décolle bien les tympans. Je me suis jeté la-dedans d'une manière compulsive, comme quand je mange ou que je m'achète des films. J'y ai passé quelques nuits à rentrer des centaines de titres. Bref, je dispose à présent de toute une série de B.O existentielles adaptables à toutes mes humeurs. Y compris quand la colère vient gâcher ce qu'il reste de comestible en moi.

 

Tiens, ça aussi ça remonte à la prime enfance.

Des crises pas possibles. Je balançais alors sur mes frangines tout ce qui me tombait sous la main. Ma petite maman me dit même que j'hurlais à m'étouffer. Quand je devenais tout bleu c'est papa qui me foutait alors sous la douche. J'ai même gardé sur la joue gauche la marque de mes ongles mais aujourd'hui les décennies, la barbe et le goût des trucs sucrés l'ont presque effacé. En grandissant les crises ont peu à peu disparues et lorsque je suis parvenu à incarner dignement l'ado malingre, boutonneux et reclus, ma grande soeur m'a alors tendrement surnommé "l'autiste". On y repense ensemble avec nostalgie, aujourd'hui, à cette époque où j'étais loin de la ramener autant qu'aujourd'hui..

 

Je reconnais que, finalement, je n'étais pas malheureux, tout mal dans ma peau et incompris, enfermé dans ma chambre. Côté déco, mon truc, c'était les affiches rétro. Il y en avait à couvrir les quatre murs. J'avais installé également tout un tas de spots de couleur qui baignaient l'endroit de lueurs et d'effets lumineux intergalactiques du plus bel effet. Un temple apaisant. Mon monde d'ado introverti. J'y étais tellement largué et loin de tout que j'aurais pu recevoir la visite téléportée de Spock et du capitaine kirk sans être surpris.

- Spock! Capitaine Kirk, ça me fait trop plaisir!

Ma chambre donnait sur le toît et la campagne. Du coup, lorsque j'ai commencé à fumer en cachette je me suis retrouvé sous les étoiles et le cul sur les ardoises. Une situation inconfortable l'hiver mais totalement féérique au coeur de l'été. Mon pote Fredo m'en parle encore. Je ne remercierai jamais assez mes parents, qui, même morts d'inquiétude pour mon avenir de jeune cancre taiseux, ont toujours respecté ce temple à la gloire de la fugue. Ils m'ont offert la chance immense de grandir au milieu de bouquins et de musique. Il y avait même un piano à la maison mais je n'ai jamais eu le courage d'apprendre le solfège. J'ai donc bricolé quelques petites mélodies. De quoi interpréter la vie sans partition et faire un peu illusion. À l'arrivée, j'ai fait comme tout le monde. J'ai accompli l'exploit ordinaire. Trouver mon petit emplacement dans la société. Aujourd'hui je donne l'impression d'être bien garé et d'avoir bien compris dans quel monde ô combien adulte je suis. C'est juste que la petite bouilloire continue de siffler dans ma tête de temps à autre. 

 

Je m'isole quand ça arrive.

Mais il suffit qu'on me sollicite pour un truc quelconque juste à ce moment-là et ce putain de fumier, d'enfoiré de truc quelconque me fera sortir de mes gonds. C'est assez consternant, je sais, mais je dois composer avec ça. J'ai ce super-pouvoir de pouvoir me transformer en gros con pour un rien. Y compris envers ceux que j'aime. Ce truc qui déconne à quand même fait de la peine à beaucoup de gens et m'a un peu gâché la vie mais, rien à faire, je suis resté solidement attaché à cette fulgurance bipolaire. Attention je n'ai jamais levé la main sur personne (sauf pour me défendre) ma tête ne tourne pas à 360 degrés sur mes épaules et je ne suis jamais entré dans une salle de bain avec une hache ou habillé en grand-mère avec un couteau. Je suis comme vous et moi. Innocent. Comme un grand, je trouve des dérivatifs. Un truc qui me détend bien dans ces moments de colères irrationnelles c'est d'aller photographier un cheval, par exemple.

 

 

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C'est marrant, je crois que sans le vouloir, je suis en train de vous expliquer en mots simples comment j'en suis arrivé à passer une partie de mes nuits à habiller et rhabiller le douze millionième blog ciné du net, à disperser dans toute la baraque une collection de films de près de mille titres et programmer des playlists musicales de douze heures.

C'est une manie assez épuisante de devoir se fabriquer en permanence un multitude de "mondes rien qu'à nous" pour tenir le coup. Un conseil, ne jugez jamais hâtivement ce genre d'attitudes autistiques. Surtout quand le pauvre type va bientôt fêter ses cinquante ans. Parce que derrière flambe toujours une irrésistible soif de consolation.

 

Le miracle, malgré cette improbable et imprévisible manière de conduire, c'est que mes enfants ne m'aient jamais renié. Ils ont quand même grandi auprès d'un papa orienté plein ouest, enduré un divorce et un paquet de crises et de scènes d'apocalypse entre leur mère et moi. En même temps, les fins de relation sont faites pour ça. Libérer dans l'air un peu d'apocalypse. Je me dis qu'il est primordial, dans le cadre d'une éducation solide, de rappeler qu'au delà des fragiles frontières du quotidien l'impermanence triomphe. Le second miracle c'est Puce. Parce qu'à peine divorcé, je suis entré dans sa vie et n'en suis plus jamais sorti.

- Je me souviens, tu es arrivé dans mon appart avec un petit sac de voyage. T'avais plus rien, mon chéri.

Elle m'accompagne depuis plus de dix ans en embrassant allégrement tout le package. Il faut préciser que ma petite fée est taillée pour. Parce que, côté background, cette irrésistible quadragénaire à peine plus lourde qu'un pétale de rose avec une larme de brume dessus a encaissé plus de coups que nous tous réunis. Si je vous racontais sa vie vous penseriez que je fabule ou que je cherche à vous tirer les larmes. Puce ressemble à l'adorable princesse d'un lointain pays mais elle appartient en réalité à la catégorie des femmes qui ont affronté leur dragon droit dans les yeux et ont survécu.

 

Allez, je vais quand même vous raconter un petit morceau de notre histoire. L'autobiographie est un genre particulièrement vorace et l''ouvrage à vite fait de se faner dès que l'on ne se mouille pas un minimum. On est pas là pour se marrer tout le temps et faire de l'épate. C'est un peu intime mais vous comprendrez un peu mieux pourquoi il m'a fallu écrire trois cents chronique ciné en deux ans pour cicatriser.

Se frotter aux monstres du passé est un combat que ma petite chérie a pu mener dès qu'elle a choisi de faire le chemin avec moi. J'étais, je suis et je serai toujours pour elle un mec amoureux jusqu'à l'os. Alors, elle s'est sentie en confiance et a posé ses valises. Elle s'est arrêtée le temps d'un songe et la tempête qu'elle cachait en elle depuis des années s'est levée. Pour réveiller les fantômes du passé, il n'y a rien de tel que d'attendre un bout de chou qui ne viendra jamais... Nous avons pourtant suivi comme il fallait le joli petit parcours du combattant de la procréation assistée. Je peux vous certifier que le jour ou l'accompagnement des couples en détresse natale se fera par ordinateur le résultat sera un peu plus chaleureux et convivial qu'avec les Thénardier de la fécondation in-vitro qui ont maladroitement géré le dossier. Je n'ai pas vu Puce s'abîmer d'une opération à l'autre. Il faut préciser que la détermination est un mot qui a été pensé et conçu pour elle. Rien ne l'arrête. Non seulement quand elle marche mais également quand elle a une idée en tête. Et je me suis retrouvé comme elle. Prêt à tout endurer aveuglément pour qu'elle devienne la plus adorable des mamans. Un rôle qui a son importance quand on est arrivé, comme elle, d'une zone de guerre, tout bébé et sans parents.

 

Quand les FIV ont échoué, les unes après les autres, elle a discrètement cessé de s'alimenter. Je n'ai pas vu le coup venir. Et la dépression n'est pas venue seule. Deux saloperies de souvenir sont venus tout casser avec, à leur côté, le spectre fourbe et hideux de l'anorexie. Une hyène qui ne s'éloigne jamais complètement. Je l'aperçois qui rôde encore de temps à autre. Voilà comment, petit à petit nous nous sommes retrouvés à peine plus vaillants que deux enfants flanqués dehors au coeur de l'orage. Je crois n'avoir jamais vu quelqu'un souffrir autant qu'elle. Des fragments d'âme hurlants voltigeaient dans toutes les pièces de la maison. Et un soir, dans sa tête, tout a vraiment explosé. Je vais faire une ellipse confortable et préciser que je me suis réveillé le lendemain matin après une nuit aux urgences, le grand amour de ma vie sur un lit d'hôpital et les enfants partis se réfugier chez mon ex.

 

J'imagine que certains d'entre vous ont déjà connu l'état zéro.  Cet instant sec, froid et sans air où vous vous relevez au centre de votre vie en miettes. Il faut juste éviter de foutre le camp. Ne pas s'imaginer que l'on peut tout reconstruire ailleurs. Un bon endroit pour intervenir est précisément là où tout s'est pulvérisé. J'allais  accompagner Puce en enfer tout au long d'un chemin qui allait devenir très compliqué pour tout le monde. Et ce pendant quelque temps. J'ai dû admettre avec les enfants qu'on ne pourrait pas revivre ensemble tout de suite. Je me suis retrouvé ainsi à ce carrefour silencieux et sombre, dépourvu du moindre panneau indicateur. Pour sauver la femme qui parlait directement à mon âme je devais commencer par briser le coeur de mes deux enfants. Un grand moment de vie sans gloire. Mais Il n'y avait pas d'autre choix pour moi. Sauver Puce allait devenir un job à plein temps. Dans mon malheur le rêveur était devenu un homme résolu. J'allais, durant de longues semaines d'une nuit profonde, jouer le rôle du vaillant gardien de phare attendant le retour de sa petite sirène sous un ciel zébré d'éclairs. Mon coeur était déchiré en deux parties égales mais je n'ai plus jamais lâché la main de ma femme.

 

Je me suis arrêté de travailler quelques semaines car chaque visite au centre hospitalier mobilisait toute mon énergie. Je dormais comme je pouvais, souvent en fin de nuit avant de rendre visite à mon bel amour retenue prisonnière. Insupportable spectacle de l'imaginer toute seule au milieu de silhouettes effarées tenant des propos incohérents et déambulant inlassablement autour d'un puits de lumière blafard, phosphorescent sur un misérable carré de verdure. Puce a tenu un journal de bord durant cette période. Le journal d'une taularde décrit avec calme, élégance et cette pointe d'humour qui vous achève. Je me revois sonner à la porte du service. Je m'y trouvais au premières minutes des horaires autorisés. Réclamer l'autorisation de voir la femme de sa vie est une consigne dure à avaler et qui flinguerait le sens de l'humour du plus enragé des comiques. Chaque jour je me pointais et lui ramenais un truc de la maison pour la rassurer. Un plaid, des oreillers, du parfum, des tas de produits de maquillage, des piles de livres, des cd, une petite chaine stéréo et même une lampe. Tout un bouquet de bricoles d'amoureux désemparé qu'une infirmière a fini par me demander de rapporter à la maison.

Après une première tentative de retour, vite avortée pour cause de crise d'angoisse terrassante, suivie de trois semaines d'une discipline hospitalière particulièrement rigoureuse, Puce est enfin rentrée.

- Plus jamais tu ne foutras les pieds là-bas. je te le promets. Je vais bien m'occuper de toi.

J'ai tenu parole.

On a commencé par s'offrir un chouette week-end d'amoureux au bord de la mer...

 

 

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Alors forcément tout ça crée des liens, instaure une forme de complicité radicale que plus grand chose ne peut entamer. Nous en avions pris plein la gueule mais nous avions appris l'essentiel. Comment garder les nuages à bonne distance de notre île. Et puis, quelques mois plus tard, comme dans un bon vieux feel-good movie américain (le happy-end n'est pas qu'une invention de producteur) les enfants sont revenus. J'ai pu enfin les avoir auprès de moi et dire adieu au "père indigne" qui se pointait en permanence dans mon esprit.  Libéré, je me régalais de voir Puce reprendre doucement les rênes. Parce qu'il n'existe pas plus beau spectacle que de regarder s'enclencher le mécanisme noble et gracieux de la résilience. Comment une personne blessée, même le plus cruellement du monde, se redresse. Lentement, délicatement, un projet après l'autre.

 

 

 

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La voici aujourd'hui  menant sa vie et sa carrière comme une Spartiate. Une guerrière qui se couche tôt, comme pour mieux mettre la nuit en défaite. Les mecs de 300 sont des tafioles à côté d'elle.

Si je vous raconte tout ça, c'est pour bien vous faire  comprendre de quoi je cause quand  j'évoque la nécessité de savoir se fabriquer des espaces de consolation. Ce blog en fait partie. Parce que dans le fond, on ne surmonte pas grand chose. On traverse, c'est tout. Ce qu'il faut c'est aimer plus fort encore tout ce qui s'est abîmé. Sans abandon, l'amour n'est qu'une bluette de série Z souvent suivi d'un de ces divorces à l'amiable qui mettent un terme à une union ultra-discount. Il faut aimer à ouvrir tout en grand. Aimer à se retrouver à poil et perdu dans le silence de tes absences.

Désormais, quand vous lirez sur le blog la chronique enflammée d'un film comme 37,2 Le Matin, vous saurez pourquoi nous avons rejoint la vaste communauté des gens qui savent de quoi parle Beneix et Djian. Je ne vous ai pas raconté tout cela pour me dorer la médaille mais juste pour vous refiler un bon shoot d'espoir.

 

 

Et puis voilà, on se cogne de nouveau à la vie.

Elle est toujours là. Elle s'écoule tranquillement, indifférente aux guerres, aux famines, à l'exil comme aux drames intimes et on se surprend à la retrouver comme on l'avait laissée. Aussi légère et fluide qu'un  chant de noël de Dean Martin ou une chouette mélodie de Sinatra. Elle se déroule avec la même application que le boulanger relevant chaque matin son rideau. Je dois reconnaître que les trucs de crooners disent souvent la vérité. Les tragédies et les plus beaux requiems n'ont pas le monopole du ton juste quand il s'agit d'évoquer notre éphémère condition. Mais il est important de ne pas pousser trop loin la poésie. Garder en tête que l'on qu'on peut aussi vivre d'authentiques moment de grâce avec deux petits potes à poils ras, par exemple.

 

 

 

 

 

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Épisode 3

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Sommaire saison 1 

Sommaire général 



30/12/2016
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